Marc et l'Évangile

         L'évangéliste Marc, Vatican, urbgr2, XIIs

Selon le témoignage de Jean l'Ancien, gardé par Eusèbe de Césarée à partir des écrits de Papias (connus de Clément d'Alexandrie), c'est à la demande des disciples de Pierre que Marc aurait mis par écrit tout ce dont lui-même se souvenait : "Marc, qui était l’interprète de Pierre, a écrit avec exactitude, mais pourtant sans ordre, tout ce dont il se souvenait de ce qui avait été dit ou fait par le Seigneur. Car il n’avait pas entendu ni accompagné le Seigneur ; mais plus tard, comme je l’ai dit, il a accompagné Pierre. Celui-ci donnait ses enseignements selon les besoins, mais sans faire une synthèse des paroles du Seigneur. De la sorte, Marc n’a pas commis d’erreur en écrivant comme il se souvenait. Il n’a eu en effet qu’un seul dessein, celui de ne rien laisser de côté de ce qu’il avait entendu et de ne tromper en rien dans ce qu’il rapportait. Voilà ce que Papias rapporte donc de Marc.” Eusèbe, HE III.15

Avant donc, de coucher par écrit les épisodes de la vie de Jésus, Marc les avait mémorisés et les proclamait dans les assemblées; il était comme un livre vivant au service de Pierre qu'il accompagnait. Son ouvrage débute par le titre "commencement de l'Évangile de Jésus Christ Fils de Dieu”, où le terme Évangile correspond au récit de la vie de Jésus, selon l'acception qu'il avait déjà dans les communautés de la diaspora.

Jean l'Ancien avait jugé son écrit à l'aune de celui de Luc qui, dans sa préface, s'était engagé à donner un récit chronologique et rigoureux, indemne d'erreurs, pour avoir lui-même tout accompagné de près jusqu'à prendre part aux événements. Par comparaison, Marc semblait sans ordre et ce n'était qu'une confiance relative qui pouvait lui être faite car il n'avait pas accompagné Jésus; en ajoutant qu'il était rigoureux il évitait de l'invalider.

Supposer à l'inverse, comme le font nombre de contemporains, que Luc se soit inspiré du témoignage de Jean l'Ancien pour rédiger sa préface, n'est pas sérieux. Autant Luc était conscient de ce qu'il écrivait, autant Marc a fait preuve d'un talent très moyen de compilateur. Il est certain que Luc était en mesure de devenir le maître de Marc et non l'inverse ! De fait, l'option qui, depuis deux siècles tend à donner la priorité à Marc, ne paraît guère défendable.

Ce ne sont pas les souvenirs que Pierre avait eu de Jésus que Marc mit par écrit — comme donnait à le penser Jean l'Ancien — mais, en plus court, un état très proche du récit fait par Luc. Des indices en sont donnés dès les deux premiers versets où une parole de Jésus (citant Exode et Malachie) a été compilée par Marc avec un verset d'Isaïe et rassemblés, non sans vergogne sous le seul nom d'Isaïe. Sans les précisions données par Luc, certains épisodes sont incompréhensibles; c'est le cas de la cueillette des épis de blé (Mc 2.25-28) qui fait appel aux coutumes du temple dont Marc n'était pas familier. En éliminant le nom du sabbat second-premier dont il ne saisissait pas la teneur (cf Lc 6.1), il a rendu l'épisode inintelligible. Les exemples peuvent être multipliés tout au long de la lecture de son livre.

L'Évangile de Luc avait été écrit tôt , dès la fin des années 30, et vers 55/56 Paul en parlait en ces termes : “Nous envoyons avec lui le frère dont la louange dans l'Évangile [est répandue] dans toutes les églises” (2 Co8.18).  Reconnu pour sa probité, ce frère aida Paul dans la collecte entreprise auprès des communautés. Pourquoi son nom n'était-il pas donné ? Encore un disciple qui souhaitait rester dans l'anonymat ? Ce frère ne saurait être Marc dont l'écrit abrupt et quelque peu rustique n'aurait pu être loué dans toutes les églises. Ce frère était bien plus vraisemblablement Luc, car en référence à Ac 17.2-3 et 1 Tim5.18, Paul (dont il était parent) semble bien avoir connu son écrit. Luc avait pu traduire en grec un travail accompli au préalable en hébreu (ou en araméen) par les familiers de Jésus. Et cela pourrait expliquer la formulation singulière de Paul. C'est sa traduction en grec que Marc connaissait, au point de la divulguer oralement.

Mais connaissait-il les deux premiers chapitres de Luc ? Il semblerait que ceux-ci n'aient été insérés qu'après la parution de la toute première édition dont Marc pouvait avoir été familier. En référence à Gal.4.4, un verset relatif à l'origine divine de Jésus, Paul était bien informé de la teneur de ces deux premiers chapitres ; cependant sa manière d'y faire allusion manifeste le mystère dans lequel ils étaient gardés, et il fallut attendre quelques décennies avant qu'ils ne soient largement répandus. Matthieu les appuya (cf Mt1.18) tout en fournissant un récit parallèle qui prenait en compte les attentes plus pragmatiques des fidèles.